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Quand Paris Match remaquille Marine Le Pen
06/11/2010 14:16
Daniel Bernard - Journaliste | Vendredi 5 Novembre 2010
On connaissait le communisme à visage humain, voici l’extrême droite au régime Dukan. Cette semaine, Paris Match consacre six pages à une nouvelle idole politique, Marine Le Pen. Un reportage qui offre à la vice-présidente du FN un visage beaucoup plus avenant, entre photos de famille et petites anecdotes.
(Paris Match)
On se souvient d’«Arlette», l’implacable porte-parole de Lutte ouvrière, sommée d’ouvrir la porte de son F2 des Lilas. «Olivier», postier trotskiste, aussi a fini par s’exposer grand angle, un ballon au pied, avec ses potes. A son tour, «Marine» connaît cette semaine la rude épreuve de la… peopolisation. Comme les deux autres adversaires acharnés de l’«établissement », qui ne s’en sont jamais remis, la fille de Jean-Marie Le Pen prend la pose dans Paris Match. En quatre pages de sourires et deux pages de compliments, voici « le nouveau visage de l’extrême droite». Un visage nécessairement plus avenant que l’ancien, puisque celle qui prétend présider le moins fréquentable des partis hors système « termine ses repas avec le fromage 0% autorisé par le fameux régime hyperprotéïné Dukan». «En campagne, son père grossissait le trait, sa fille mincit», s’émerveille le puissant magazine du groupe Lagardère qui en perd sa grammaire. Entre un reportage sur le choléra en Haïti et une rencontre avec les derniers gardiens de phare du Finistère, Marine Le Pen livre donc ses secrets. On apprend qu’elle «déniche» des « pièces colorées aux coupes originales» dans un magasin d’usine spécialisé dans les marques italiennes. «Dans les ruelles pavées de Nice où nous l’accompagnons pendant sa séance shopping avec son amie Lydia Schnénardi, elle cultive son côté bonne copine», raconte la journaliste Mariana Grépinet, dans la veine des enquêtes « maison » sur Rachida Dati, ex-garde des sceaux et «fashion victim». La vie familiale de la nouvelle star frontiste se dévoile aussi. La maman qui «élève seule ses trois enfants» s’insurge, pastichant les tirades de Ségolène Royal : « quand des types comme Gollnisch ou Le Pen rentrent à 2 heures du matin après une émission de télé, ils peuvent dormir le lendemain. Moi, à 7 heures, je suis debout pour m’occuper de leur petit déjeuner». L’anecdote qui tue concerne les SMS envoyés par sa cadette Mathilde, 11 ans. «Ayatollah de l’orthographe, {elle} a décidé de ne plus répondre tant que les messages seraient truffés de fautes : « vous vous rendez compte, elle me demande si je suis d’accord pour une sortie en écrivant dacore ! L’Éducation nationale a encore des progrès à faire !»». La citation qui conclue l’article bouleverse par son audace : « elle arrive à toucher l’opinion publique par des sujets essentiels, d’une manière qui ne heurte pas». L’auteur de cette analyse se nomme Louis Aliot, dont on apprend qu’il est «son compagnon et coordinateur du think tank mariniste. Ils viennent d’acheter une maison à Millas, près de Perpignan, où Louis Aliot a installé son cabinet d’avocat». Si le «compagnon» ne figure pas sur la photo, Paris Match publie en revanche sept clichés extraits de l’album privé de la famille Le Pen : coucou Rainbow, gentil caniche, coucou maman Pierrette, coucou papy Jean-Marie ! La politique, bien sûr, n’est pas totalement absente. Et Paris Match se fait même un devoir de dénoncer les «contradictions» de Marine. «Elle veut empêcher les étrangers de venir en France. Mais cet été, pendant ses vacances en Espagne, elle a recueilli une petite chatte abandonnée ». Les journalistes sont parfois trop cruels… D’autres passages se veulent moins ironiques : «tout en soignant l’électorat traditionnel, Marine se pose comme une vraie rénovatrice», ou encore, en gros caractères : «à la radio, à la télé, à l’oral, elle est imbattable. Et la vieille garde est sur la touche ». Est-ce bien contre le même Front national que la France entière a cru nécessaire de défiler le 1er mai 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen s’est qualifié pour le second tour de la présidentielle ?
(Paris Match)
Enfin, Paris Match reprend la thèse officielle d’une Marine « de gauche», déjà gobée par le Point, le Nouvel Obs et tant d’autres médias ébaubis par la modernité de leur nouvelle idole. Oui, de gauche, puisque, tout en étant favorable à la peine de mort, la vice-présidente du FN est pour le Pacs et la loi Veil, et prend ses distances avec les dérapages de son père ! Mieux : la fille de l’héritier des ciments Lambert «plaide, des trémolos dans la voix, contre la mondialisation « qui consiste à faire fabriquer par des esclaves pour vendre à des chômeurs» et même contre la grande distribution, « qui ne cesse d’augmenter ses marges» ! Certes, Jacques Chirac aussi, en 1995, était parvenu à se faire surnommer « le Chi » en référence au héros cubain. Mais autant de complaisance avec miss Le Pen constitue une innovation, s’agissant d’une personnalité qui revendique « toute l’histoire du FN, avec ses forces et ses faiblesses». Autrement dit qui assume, tacitement, les complaisances racistes et antisémites, le fanatisme des catholiques intégristes, ou encore les accointances paternelles avec la secte Moon, Saddam Hussein et le grand patronat…
Quel sera l’effet électoral d’une telle consécration, par la presse conformiste, d’une personnalité politique qui campe à la marge ? Noyée sous le miel médiatique, l’extrême gauche a perdu l’attrait révolutionnaire qui avait fait son succès, notamment, en 1995 et 2002. Pourtant, à l’inverse, l’exemple des néo-fascistes italiens relookés par Gianfranco Fini montre que la dédiabolisation de l’extrême droite peut tout aussi bien mener au pouvoir. Un «pouvoir » que revendique, précisément Marine Le Pen. «Le Pen dit qu’il a créé ce parti, qu’il l’a fait durer et que notre boulot c’est d’aller au pouvoir», confie-t-elle, tout sourire, à Paris Match.
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